Actualités

Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

Retrouvez-les dans les archives 2015-décembre

jeudi 3 février 2011

Le rebouteux


« Vas voir le père Jovet ! »

Combien de fois ai-je entendu ce conseil ? Des dizaines, des centaines de fois peut-être ? Ces quelques mots résonnent encore en moi. Jusqu'à réveiller une ancienne douleur, s'ils reviennent trop souvent ou trop intensément. Pourtant le Père Jovet était un brave homme qui aimait la vie et les hommes aussi. J'en veux pour preuve les nombreux soulagements qu'il a apporté aux bras, épaules, chevilles et poignets souffrants. Bref, il était notre sauveur, connu de tous, même des vacanciers.

J'ai eu maintes occasions de le croiser dans mon enfance mais une seule retient aujourd'hui toute mon attention. Ce jour-là, nous jouions au foot avec François. Notre terrain était la ruelle « des quatre fumiers », récemment goudronnée (la route des mouilles). Faute d'avoir un vrai ballon, nous avions choisi une balle de tennis jaune. C'est l'été, nous sommes en petites sandales. Soudain, c'est le drame, mon pied passe à côté de le balle mais n'évite pas le bitume. Ça fait mal !

Parcourir les cinq cents mètres qui séparaient les deux villages fut pour moi un véritable enfer. Je parvins enfin devant la maison du vieil homme. A temps ! Il comprit très vite la situation et me fit entrer dans la cuisine. C'était une cuisine comme il n'en existe plus à notre époque. La télévision l'avait d'ailleurs immortalisée. Dans un angle, il y avait un banc sur lequel il me fit asseoir. La pièce était grande, un peu sombre, car elle permettait de loger bêtes et hommes. Ceci avait l'avantage de conserver une agréable chaleur l'hiver mais aussi une très forte odeur des bovins, volailles et autres animaux de ferme. Seul le cochon avait droit à une pièce à part.

Louis Jovet me demanda de quitter mes sandales. Pendant ce temps il se lava les mains, dans l'évier écaillé, au savon de Marseille. Sa femme lui prépara la motte de beurre et mit à tremper, dans l'eau chaude, des serviettes. Lorsqu'il approcha ses mains de mon pied, je serrais les dents. Elles me semblèrent énormes. Elles étaient surtout habituées aux durs travaux des champs, aux tâches agricoles. Je ne saurai dire si le beurre y était pour quelque chose mais elles se firent douces, voir agiles. Avec fermeté, il me reprit le pied. Cette fois-ci, il ne fut plus question de bouger. D'un geste rapide, impossible à décrire, il remit en place mon gros orteil.

Une douleur vive, aigue ! Une douleur qui vous force à hurler ! Une douleur qui fit naître des larmes dans mes yeux d'enfant ! Et puis, le linge chaud et humide pour les sécher. Simplement, Madame Jovet enveloppa alors mon pied douloureux. Petite action, grand réconfort ! Dans des propos mi-patois, mi-français, son mari tentait de me rassurer. J'avais eu mal mais demain tout irait mieux. Je pourrais poser ma jambe au sol et même rejouer au foot avec mon copain François. Personnellement, j'en doutais mais ne demandais qu'à le croire. Dans l'instant, j'avais toujours mal.

Enfin pourquoi douter, les anciens du village, les touristes également, n'affirmaient-ils pas tous, et unanimement :
«  il n'y a pas meilleur comme rebouteux, dans toute la vallée, que le Père Jovet. »

 
© Laurent SILVIN, 19 mai 1995

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire