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Le francoprovençal est une belle langue. Bien que ne la parlant pas , ne la comprenant pas, je reste sensible à sa musicalité lorsque les -trop rares- occasions de l'entendre se présentent. Cette langue, vulgairement surnommée patois, parlée par mes grand-parents, m'a bercée durant mon enfance. C'est pourquoi j'ai envie de la mettre à l'honneur sur ce blog. Je mettrais en ligne petit à petit les textes qu'écrivit mon grand-père Donat et que vous connaissez déjà pour les avoir lu en français.
Histoires maintes fois racontées et publiées dans la Revue Dava Rossan-na en français et en patois sous le nom d'auteur Dona Revène – Le Marmotïn – Moulïn - Péjèy

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lundi 28 février 2011

Les artisans de Moulin au début du 20e siècle


Les moulins

Il existait deux Moulins: l’un, le » moulin de Madeleine », avant le pont qui était plus bas à l’époque, ruine remplacée par un chalet et l’autre, après le pont, le « moulin à Rosat », devenu résidence secondaire de la famille Thomas.


Le canal

Le torrent était dérivé en amont par un canal qui amenait l’eau sur le moulin, la forge et la scierie fonctionnant tous avec l’énergie du Ponturin. Ce canal, qui traversait le chemin, était couvert de pierres plates et commandé par une vanne. Il arrivait d’abord dans « le trou à Gaude », sorte de sablière où se déposait le gravier charrié par le torrent. Les Moulinots venaient acheter ce sable noir à Joseph pour de petits travaux de maçonnerie.
Puis l’eau allait actionner la meule du moulin et le pétrin. Ce moulin était un bien communal qui servait aussi de boulangerie.


Les céréales

Les paysans cultivaient du seigle et de l’orge, un peu d’avoine, mais il fallait la semer tôt pour la voir mûrir, et que le temps soit beau. La moisson avait lieu en aout, à la St Barthélémy, même si le seigle, les années de pluie, n’était pas très mûr. S’il ne mûrissait pas, c’était une année de misère comme en 1816 où la neige n’a pas fondu au-delà de 2000m, les pommes de terre restant aussi minuscules. Avant de le couper, on semait les graines de raves qu’on piétinait en le ramassant. On dressait des gerbes qu’on ramenait et battait en septembre au fléau sur la place, ce qui attirait les enfants. Ou sous la voûte de la maison Orgelet quand il pleuvait. Quand la moisson était particulièrement bonne, des italiens venaient aider en novembre. Un des derniers batteurs fut le T’chin. Il battait seul, un dur labeur, et portait une longue barbe qui faisait peur aux enfants. Les grains étaient ensuite passés au tarare pour isoler la balle, tout comme les fèves pour lesquelles on mettait une grille plus grosse et ronde. Dans les maisons, on stockait les céréales dans de grands coffres en bois.


Le moulin

Comme nous le raconte Suzanne Colin, chacun apportait son seigle « au moulin à Rosat » en février, dans des petits sacs en toile blancs marqués aux initiales de la famille. Chaque sac plein, le » bichet », servait de mesure et contenait 11kg de grain qui donneraient 7 pains bombés et ronds, et du son pour les poules qu’on devait payer. Ces sacs servaient aussi à acheter les pâtes, le riz, la polenta, les lentilles, les haricots. Depuis Nancroix, on les descendait sur des luges.
Dans le vieux temps on cuisait le pain en novembre pour toute l’année. Si bien, qu’on devait le fendre à la hache et qu’il se trouvait souvent moisi. On devait le faire tremper dans la soupe, le lait ou le sérac pour le manger. Dans les maisons, les pains étaient disposés sur des claies, sous le plafond, loin des souris. On les descendait avec un râteau.
Plus tard il fut dit qu’on pouvait le cuire jusqu’à ce qu’en mai, le seigle fleurisse à nouveau dans les champs. La farine d’orge servait à nourrir les deux ou trois vaches, et le cochon ; l’avoine, le mulet.
Le surplus de farine servait à confectionner le pain de ceux qui n’étaient pas cultivateurs. Le pain cuit était stocké dans la maison de Claude Maurice, au bord du village, et les gens le récupéraient en passant avec le mulet. Et » Glaud Mui » disait voir passer » toute la commune devant chez lui ».

En 1912, une avalanche, descendue pendant la nuit, ensevelit le moulin et son meunier Gustave qui n’avait rien entendu et trouva la nuit bien longue. Son aide le découvrit, tout étonné, après avoir dégagé la neige avec les voisins. Cette histoire court encore.


On montait deux marches pour entrer dans une pièce où on vendait le pain. Le four était derrière et la meule au bout. Henri Rosat, le meunier, était un petit homme aimable. On ne voyait que ses deux yeux bleus dans son visage enfariné. On pouvait choisir un pain dans le four et l’emporter encore chaud. Il faisait aussi des brioches à la praline les dimanches.
Il y avait toujours à boire près du four pour étancher la soif et ceux de la scierie ne s’en privaient pas. La table où on pesait et payait le pain, supportait aussi des verres. Et ceux qui, revenaient de la forêt, ainsi que le garde champêtre s’arrêtaient là pour boire avec le boulanger. On faisait la fête.

Puis la mode est venue au pain blanc et on fit rentrer de la farine de blé blanche. Il était impossible de faire pousser du blé en montagne. IL « périssait ».Au début un gars d’Aime ramenait des couronnes qu’il déposait à Peisey chez Baptiste Garçon (Maison de Gérard Richermoz) pour les bronziers qui venaient de Paris en vacances. Puis Henri se mit à faire des couronnes
Il fabriquait aussi des crèchens pour les rois, mardi-gras et le quinze août avec le beurre du « fruit commun ». Les conscrits payaient la crèchen aux conscrites et s’en allaient danser chez Jean, à l’hôtel Villiod.

Raymond Rosat, le fils d’Henri, essaya de reprendre le moulin, mais il tomba malade.
Ce moulin est actuellement la propriété de la famille Thomas qui l’a acheté à la commune.
Il n’y a plus de boulanger à Moulin, ni de moulin. Seul le nom demeure.


La forge

Autrefois, pendant 4 générations, les ancêtres de Donat Silvin ont été forgerons de Moulin, dans la cahute qui fait face à sa maison.
Entre le moulin et la scierie, était aussi une petite forge dont on peut encore voir des murets en ruine adossées à la montagne sous les arbres, la forge à Debernard. Son soufflet était actionné par l’eau.

Son fils Charles, aussi forgeron, s’est installé de l’autre côté de Moulin, sous la route, là où s’élève actuellement la maison d’Edouard Silvin. Sur le grand mur actuel, était un emplacement pour deux chevaux, surmonté d’un local en bois où étaient stockées des barres de fer. Les livreurs de ferraille déposaient leur chargement au rez de chaussée d’un autre local au milieu du village (actuellement maison Vuillerme). Il était ensuite transféré à la forge.
Charles, petit homme moustachu, était aussi maréchal ferrant. Il y avait alors 60 chevaux et mulets à Peisey et l’on venait de Landry et Hauteville sur rendez-vous pour les ferrer. Ulysse Poccard Marion se souvient de leur pas incessant dans le chemin qui descendait à la forge. Charles prenait un commis pour la fabrication des fers, qu’il empilait autour de chez-lui.
Il faisait des pioches de jardin et de chantier, des coins pour fendre le bois, des pinces articulées rivées. Il ressoudait les manches des casseroles, appointait les pioches. Il possédait une meulerie pour affûter les outils. C’est lui qui réalisa la barrière et le portail en fer de la maison Clément, ainsi que le triangle utilisé par Louis Peraillon, le cantonnier, qui ouvrait le chemin en hiver.

Il était aussi accordéoniste ! Il accompagnait les cortèges et animait de petits bals. Chez Séraphin Poccard pendant la guerre, chez Camille Gontharet à Nancroix, à la St Jean chez Brunes…Un peu partout !

Edouard Silvin a tout démantelé pour faire sa maison.


La scierie

Après avoir actionné le soufflet de la forge, l’eau continuait vers la scierie pour faire fonctionner «  la battante » et la scie circulaire Elle passait sur une roue à godets qui faisait monter et descendre la scie et avancer les billots.

Ernest Gontharet et Joseph Gaude achetèrent cette scierie à Eugène Favre, père de Lucienne Villiod.
Ils s’occupaient des sapins et des mélèzes du bois d’affouage, les débardaient et enlevaient l’écorce avec une hache. Ils coupaient des poutres, des voliges, des lambourdes. Le travail était soigné et on venait de Chambéry acheter des planches. Avec le frêne, on fabriquait des « lugeons ».
Parfois, des jeunes « faisaient » un arbre qu’ils coupaient à la hache et vendaient les billots à Ernest et Gaude. Ils se faisaient ainsi un peu d’argent pour la fête des conscrits.

Les gens venaient aussi chercher la sciure qui servait de litière aux vaches.
Marcelle, la fille de Gaude, adorait y jouer et passait son temps à jeter, entasser et balayer cette sciure plus fine que du sable et qui sentait si bon. Zoé, sa mère, y a même caché du linge et des draps pendant la guerre, pour les soustraire aux allemands qui réquisitionnaient tout.
L’hiver y était rude car la scierie était ouverte à tous vents. Alors les hommes allaient se réchauffer au troquet du moulin et rentraient souvent avec » un verre dans le nez ». La vie était dure
.
Un jour des années 50, le petit Michel Villibord est allé à la sciure et s’est fait prendre à la tête dans la machinerie. On dut le trépaner.

Pascal Trésallet, plus tard, a installé une scierie au bord de la route, à la sortie de Moulin vers Nancroix. Maintenant, il est retraité.
Quant à la vieille scierie, achetée par la famille Bernard, elle est devenue aussi une résidence secondaire.

La fruitière 

Ancienne école mixte de Moulin, qui recevait une vingtaine d’écoliers et fut fermée au début du 20ème siècle, elle est l’actuelle maison de James Poccard. La fromagerie fonctionnait de fin janvier à mai.

Le fromager, souvent formé à l’école fruitière de Boug St Maurice, y recevait toute la production de lait de Moulin, qu’il transformait en Beaufort. Souvent ce fruitier était de Peisey, comme Michel Gontharet, Jeannot Jovet ou Joseph Anxionnaz, son neveu Fernand et d’autres; mais une année vint un certain Henin qu’il fallut loger. Le grenier de la fruitière s’avéra très froid et ce fut Yvon Colin qui dut l’héberger.

Le fromage était affiné en sous-sol où coulait un filet d’eau et aussi chez Charles Debernard qui recevait 100 meules dans sa cave de 9m de long. On les mettait sur des étagères où elles étaient régulièrement salées et retournées.
Puis des marchands venaient traiter le prix au kilo après avoir vu le fromage, qui était livré « tout frais » au bout de trois mois.

On avait instauré « le jour du fruitier ». Il devait être nourri par les familles selon le lait apporté. Le matin, une famille lui portait le casse-croute, puis lui offrait les repas de midi et du soir à la maison, repas que l’on améliorait, mais qui étaient vite avalés pendant que le lait caillait. Les familles avaient des numéros et le secrétaire faisait les comptes. Comme chaque famille possédait en moyenne 3 vaches, Silvin Marcellin, qui en avait 7, devait plus de jours. Hénin aimait bien manger chez Zoé Favre, car il y mangeait de bonnes choses qu’il ne trouvait pas ailleurs.

Cette fruitière fut abandonnée quand on regroupa toutes celles des hameaux à Peisey. Maintenant, les fruitières sont dans la vallée, à Aime et Bourg St Maurice. Les grands éleveurs font eux-mêmes leur beaufort, le portent dans la vallée ou le vendent aux touristes dans la station.
. Les tommes et le beurre étaient et sont toujours des productions familiales. Toutefois, le lait trait en hiver est aussi converti en yaourts, raclettes…

Petit artisanat

Alphonse Trésallet, dans la maison actuelle d’Alain Richermoz, fabriquait de petits ustensiles en bois : des auges, des seillons pour donner à boire aux veaux ou traire les vaches, des baquets pour la lessive, des berceaux, des barattes hautes…
Son fils Henri prolonge le travail de son père et vend sa production à l’Ancienne fruitière de la côte d’Aime.

Les maisons qui ont toutes près de 300 ans, se construisaient en « solidarité » et les charpentes étaient préparées en hiver.
En hiver aussi, des jeunes s’embauchaient pour extraire des pierres aux « pierres du Ceris », près des amis, et à Glaise, qu’ils tiraient sur des traineaux. Elles servaient à faire les maisons et à entretenir les routes.

Chacun fabriquait ses outils : dents de râteau, petits seillons, ballets, manches de pioche. Certain avaient leur spécialité.


Le café-épicerie des Rosat

Sis dans l’actuelle maison de la famille Watteau, le café était une petite pièce dans l’entrée, meublée de deux ou trois tables. C’était le lieu des jeunes !

L’épicerie était à coté dans celle de la famille Lluansi. C’était un endroit humide et frais, propice à une bonne conservation des victuailles où l’on entrait par un long corridor sombre qui effrayait les « croés ». Elle donnait sur l’arrière, séparée par un rideau qui cachait un coin où dormaient les enfants. Dans la grande cuisine, à droite, marchait en permanence un fourneau qui arrivait à peine à chauffer.

Zoé Rosat, la tenancière, dite « La Rosate », était une belle femme, débrouillarde qui rendit bien des services aux villageois pendant la guerre. Entre autres, elle avait encore des crayons pour les écoliers. Marceline Silvin, femme de Donat, la coiffait et elle était toujours avenante bien qu’elle eut de nombreux enfants à s’occuper, et des chèvres, des cochons, des lapins, des poules…Elle ouvrait à 7h30 le matin et fermait tard le soir.
Mr Brunet d’Aime venait lui livrer en gros le vin et les denrées avec sa camionnette.

La plupart des produits se vendaient en vrac. Ils étaient placés dans de grands tiroirs en bois ou dans des sacs de jute qui n’étaient à l’abri ni des araignées, ni des souris. Certains achetaient le sucre par sac de 25kg. Il faut dire qu’à cette époque le sucre était considéré comme un fortifiant. On en mettait beaucoup dans le café au lait qui se préparait pour 3 jours : on portait à ébullition un peu de chicorée dans un grand faitout, à laquelle on ajoutait le café, le lait et le sucre. Une famille possédait même une petite marmite à cet effet. Les enfants déjeunaient aussi avec du Phoscao.

Quand on désirait de l’huile, on devait apporter une bouteille. On transportait pâtes, riz, polenta, lentilles dans des bichets, sacs de toiles blancs.
On y trouvait de la morue, fort appréciée à cette époque, des boites de pilchards, de sardines, de pâté, de corned-beef, de la limonade et de la bière. Et toutes sortes de friandises : des Mazet, (bonbons aux fruits pliés dans du papier, spécialité de Chambéry), qu’on mettait dans sa poche avant de partir aux champs, du pain d’épice en forme de cœur, du bois doux et des rouleaux de réglisse, du chocolat, de la confiture.
Même un jour, quelqu’une dît que la confiture de fraise était vendue au prix de la compote de pommes et chacune de s’y précipiter. Bien que les femmes fassent des confitures de tous les fruits de la nature : de myrtille, de framboise, d’épine vinette avec de la courge…
Plus tard on y achetait aussi le pain si on ne voulait pas descendre jusqu’au moulin. « La Rosate » ne vendait ni viande, ni légumes et encore moins de lait. Le lait, la volaille étaient difficiles à trouver pour les touristes encore peu nombreux. Il n’existait pas non plus de boucherie. Il fallait s’adresser aux cultivateurs. Chacun pouvait tuer un veau, surtout le cochon, et cultivait ses légumes (pommes de terre principalement, choux raves, carottes, poireaux, petits pois, betteraves rouges, choux, navets, les fèves placées au bout des champs pour retenir la terre).
Parfois elle vendait des œufs qu’on lui apportait mais seulement si on n’en voulait pas trop cher, et quelques saucisses en hiver.

Les femmes qui rinçaient leur linge au bachal surélevé devant l’épicerie entraient pour se réchauffer les doigts et tailler la bavette. C’était un lieu convivial, le cœur du village, où plus tard, l’on vint aussi téléphoner et regarder la télévision.

La cordonnerie

Dans la maison où vit maintenant Marie-Claire Gontharet, son grand-père, Edouard Baudin, exerçait le métier de cordonnier en même temps que celui de facteur. Il réparait les galoches, les harnais de mulet, les colliers pour les cloches des vaches.

Le câble

Il existait un câble entre les Esserts et Moulin, qui permettait de descendre le foin dans le hameau. Les barillons arrivaient sur les prés fauchés, dans le tournant de la route vers Nancroix, actuellement la scierie de Pascal. Le buttoir était près d’une petite cabane qui protégeait le mécanisme Quand ils entendaient le sifflement du câble, les croés se précipitaient pour le regarder fonctionner. C’était une attraction.
Il en existait un autre au fond de la vallée entre Les Loyes et la Gura, du temps où l’on fauchait encore si haut. Jeannot Jovet se serait fait descendre comme un barillon, sans dommage puisqu’il y avait un contrepoids qui stabilisait le trajet.
Le foin, transporté vers les granges avec le mulet, était mis en vrac, salé et retourné pour qu’il ne fermente pas.


 
© Association " Les Habitants de Moulin ", juillet 2009




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